Women for Women France salue l'intention qui sous-tend la proposition d’une loi-cadre intégrale contre les violences sexuelles, coordonnée par la Fondation des femmes.
Cependant, il est de notre devoir de diligence envers les victimes et survivantes de violences de souligner que, dans leur forme actuelle, les propositions sont incomplètes et souvent discriminatoires. Elles risquent de marginaliser davantage et de mettre en danger les femmes en situation de vulnérabilité en France.
Bien que la proposition contienne des idées intéressantes, il est crucial de reconnaître ses limites dans sa forme actuelle. Dans son état actuel, elle risquerait de générer une illusion de progrès, et de détourner l'attention des réformes plus approfondies, plus complètes et plus efficaces qui sont nécessaires.
Objections méthodologiques
L'élaboration d’un cadre juridique ou d’une proposition législative qui se veut « intégrale » et inclusive de « toutes les femmes » exige une méthodologie rigoureuse et une consultation approfondie. Raccourcir ce processus peut offrir des résultats rapides, mais risque de causer des préjudices durables, notamment pour les femmes les plus vulnérables.
WFWF souligne l'importance d'inclure un large éventail de voix diverses au processus : celles de tous les groupes de femmes affectés par les violence sexistes et sexuelles. Cela comprend les femmes des départements et régions d'outre-mer, les femmes immigrées, les femmes racisées, les femmes vivant avec un handicap, les femmes LGBTQIA+, les femmes des zones rurales, ainsi que les femmes dont l'expérience des violences genrées et du système français est façonnée par d’autres facteurs spécifiques. Bien que WFWF salue l'inclusion de quelques associations spécialisées « par et pour » dans la « coalition » à l'origine de cette initiative, la représentation de la diversité des voix est insuffisante.
WFWF insiste également sur la nécessité de prendre en compte les dernières recherches menées en France et à l'étranger. Le pays abrite en effet certains des plus grands experts des violences genrées à l’échelle mondiale, tant dans des contextes académiques que sur le terrain. Il est regrettable que leur expertise n'ait pas été pleinement mise à profit, et que les diverses avancées récentes et significatives en matière de compréhension et de traitement des violences sexistes et sexuelles ne soient pas reflétées dans la proposition.
Enfin, toute proposition de réforme juridique doit s'accompagner d'une analyse approfondie des effets involontaires potentiels. Cette démarche est d'autant plus cruciale lorsqu'il s'agit de mesures visant des infractions présentant un risque élevé de décès pour les femmes et les enfants.
Les problèmes de fond liés à la proposition
Inquiète de l’impact de cette proposition, une membre de la “coalition” en a informé les expertes et experts juridiques de WFWF le 19 Novembre 2024. Le court délai n’a donc pas permis aux expertes de WFWF de procéder à son examen complet et détaillé.
Cependant, une première analyse a pu permettre d'identifier plusieurs problèmes critiques :
L’absence de cadre théorique : la proposition ne définit ni n'intègre les nombreuses formes que peuvent prendre les violences sexistes et sexuelles.
Une attention insuffisante portée au cadre et aux réglementations internationales : Par exemple, l’article 69 interprète de manière incorrecte les Directives Européennes. Les propositions ne respectent pas la Convention d’Istanbul, notamment en ne prenant pas en compte les facteurs intersectionnels auxquels sont confrontées les victimes.
L’absence de prise en compte du contrôle coercitif : La notion de contrôle coercitif, pourtant reconnue internationalement comme la meilleure façon de définir et de comprendre les violences conjugales, est absente de la formation, de l'enquête, de l'évaluation des risques et ou des procédures judiciaires de la proposition. Il s’agit d’une omission grave. La majorité des cas de violences sexuelles se produisent dans un contexte conjugal et intrafamilial.
Absence de prise en compte des besoins spécifiques des femmes immigrées*: Bien que le terme « étrangères » soit occasionnellement mentionné dans le texte, la proposition ne tient pas compte de la grande majorité des obstacles rencontrés par les 3,3 millions de femmes immigrées en France lorsqu'elles sont confrontées à des violences sexuelles.
L’exclusion de certaines femmes de la prise en charge des soins de santé*: Les articles 48 et 59 proposent le remboursement intégral des soins médicaux nécessaires suite à des violences sans qu'une plainte formelle soit nécessaire. Cette proposition exclut le cas des femmes en situation irrégulière qui ne sont pas couvertes par la sécurité sociale française. Les femmes migrantes ont souvent un statut administratif de “sans-papiers”, conséquence directe des tactiques de contrôle coercitif et de violence conjugale, ce qui n'a pas non plus été abordé.
L'ambiguïté autour de l’aide aux femmes sans abri* : L’article 52 ne mentionne pas l’inclusion et l’exclusion des femmes en situation administrative irrégulière, ou “sans-papiers”, à de l’aide aux femmes sans abri et sans domicile fixe.
*Association nationale spécialisée dans les besoins des femmes immigrées confrontées à des violences sexistes et sexuelles en France, Women for Women France est en mesure de fournir une analyse experte sur ces questions. Il se peut cependant que les besoins d'autres groupes de femmes vulnérabilisées n'aient pas été pleinement pris en compte.
Une proposition résultant de défis sectoriels plus larges
Le manque d'inclusivité dans la proposition reflète un problème systémique plus large au sein de notre secteur en France : la centralisation excessive de la prise de décision à Paris et l'influence disproportionnée d'individus déconnectés des réalités auxquelles sont confrontées la majorité des femmes à travers le pays.
Une caractéristique notable et préoccupante est le manque de diversité dans les postes rémunérés de direction, de prise de décision et de management.
Résoudre ce problème peut notamment passer par le soutien au développement d’associations spécialisées « par et pour » qui adressent les défis juridiques, administratifs, sociaux et économiques propres à des groupes tels que les femmes des départements et régions d'outre-mer, les femmes des zones rurales, les femmes migrantes, les femmes en situation de handicap, les femmes LGBTQIA+ et toutes les autres qui sont confrontées à des obstacles spécifiques lorsqu’elles sont confrontées à des violences sexistes et sexuelles.
Il ne suffit pas de revendiquer l'inclusion de « toutes les femmes », mais bien de s’appuyer sur leurs expériences vécues et une expertise spécialisée pour comprendre et prendre en compte la diversité des réalités.
Il est également essentiel que notre secteur adopte une position non partisane, en veillant à ce que nos services et notre engagement s'adressent à toutes les femmes en France, quelles que soient leurs affiliations politiques ou leurs croyances. Cette neutralité est essentielle pour maintenir la confiance et garantir un soutien équitable.
Nous espérons que cette situation sera l'occasion de réfléchir à la manière de renforcer les actions de plaidoyer dans le secteur, afin de mieux intégrer les besoins de toutes les femmes et de toutes les victimes de violences sexistes en France.
Garantir une réforme significative grâce à une approche indépendante et non partisane
Nous saluons la Fondation des femmes pour son excellent travail de sensibilisation aux violences faites aux femmes depuis cinq ans, notamment dans le cadre du mouvement #metoo du cinéma français, et son action en région parisienne.
Cependant, toute fondation se positionnant comme collecteur de fonds pour des associations de son choix, tout en coordonnant une initiative de réforme juridique « à l’échelle du secteur », peut soulever des questions éthiques.
Un processus mené de manière indépendante et impartiale est essentiel pour garantir que toutes les voix, groupes et expertises du secteur soient représentés. Cette approche permettrait de réduire les conflits d’intérêts et d'assurer que les besoins de toutes les femmes soient véritablement et totalement pris en compte.
Déclarations à des fins de transparence :
- A ce jour, Women for Women France n'a pas accepté de financement de la part de la Fondation des femmes. En 2022, Women for Women France a été invitée par la présidente de la Fondation des Femmes à postuler pour l'une de ses micro-subventions, mais a décliné cette offre en raison de préoccupations éthiques.
- Women for Women France est une organisation spécialisée « par et pour ».
- Women for Women France plaide pour la criminalisation du contrôle coercitif en France.
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- Numéro d'urgence (police, SAMU, pompiers) : 112 (24/7)
- Portail de ressources multilingue pour toute victime de violences conjugales et genrées : www.womenforwomenfrance.org (24/7)
- Numéro d’écoute et d'orientation des personnes victimes de violences sexistes et sexuelles : 3919 (24/7)
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