Un taux alarmant de victimes de violences conjugales accusées de “violences réciproques” en France

Une tendance alarmante émerge actuellement en France : un nombre grandissant de victimes de violences conjugales sont accusées de « violence réciproque au sein du couple ».

Publié le 03/12/2024

Les femmes ayant survécu à des violences conjugales peuvent présenter toute une série de comportements découlant de traumatismes qui y sont associés.

Depuis longtemps, les professionnels et associations venant en aide aux victimes insistent sur le fait qu'il n'existe pas de réaction ou de comportement classique ou « normal » chez les victimes de violences conjugales.

Une tendance alarmante émerge cependant en France : de plus en plus de victimes de violences sont accusées de « violence réciproque au sein du couple ».

De plus, de nombreux juges des affaires familiales et pénales en France ne sont toujours pas suffisamment formés pour identifier les comportements liés aux traumatismes vécus, ou ne disposent pas des outils nécessaires pour évaluer qui est le véritable auteur des violences en examinant le passif de contrôle coercitif dans le couple.

Les mythes de la « victime idéale » et de la « violence réciproque au sein du couple »

À la suite de violences conjugales, les victimes peuvent adopter des comportements très variés. Il peut s’agir de nier les violences, se terrer dans le silence, fuir et rester cachée, refuser l'aide des policiers ou des ambulanciers, pleurer, crier, hurler, jeter des objets, avoir un discours incohérent ou contradictoire, chercher à contacter l'agresseur, le supplier de revenir, voire lui présenter des excuses.

Tous ces comportements sont couramment adoptés par les victimes et sont le résultat de traumatismes complexes.

Les victimes peuvent même utiliser des tactiques qui, prises hors contexte et de manière isolée, peuvent ressembler à des violences conjugales. Il peut par exemple s’agir d’actes physiques et/ou verbaux utilisés pour résister, pour se défendre et pour échapper à la violence et au contrôle qu'elles subissent.

Dr Andreea Gruev-Vintila, maîtresse de conférences HDR en psychologie à l'Université Paris-Nanterre, principale experte en France en matière de contrôle coercitif et de traumatisme lié aux violences conjugales, déclare : « Il est décisif de ne jamais examiner un comportement épisodique isolément sans regarder l’historique de la relation et l’intention d’un partenaire de contrôler l’autre par la coercition. Lorsqu’une personne subit une violence grave à laquelle elle ne peut échapper, cette agression crée un stress extrême et une réponse émotionnelle incontrôlable : c’est une réponse traumatique »

Dr Gruev-Vintila continue en disant : « C’est l’essence-même du contrôle coercitif : la psychologie et les comportements de la victime sont façonnées par les actions et les croyances de l’agresseur. L’effet du contrôle coercitif est dévastateur : il prive les victimes de leurs droits fondamentaux et peut entraîner des psychotraumatismes complexes »

Une tendance alarmante : des victimes accusées de violences

Les statistiques sont claires : il est rare que des femmes soient autrices de violences conjugales. De nouvelles recherches alarmantes ont révélé que les hommes auteurs de violences renversent la situation en faisant passer la victime comme autrice des violences, et utilisent pour cela de plus en plus souvent une stratégie connue sous le nom de « DARVO », un acronyme anglais qui désigne le fait de nier, attaquer et inverser les rôles de victime et d'agresseur.

Malgré cela, de plus en plus de victimes sont accusées de “violences réciproques au sein du couple” par les acteurs de la justice, ainsi que par les médias. Cette pratique aggrave non seulement le traumatisme vécu par la victime, mais révèle également un besoin urgent de mettre en place des protocoles d'identification des auteurs de violences conjugales qui prennent en compte les recherches scientifiques sur le sujet, notamment l'escalade de la violence, le contrôle coercitif et les stratégies adoptées par les auteurs de violences comme « DARVO », mentionnée plus haut.

Ouarda Sadoudi, fondatrice de l'Association HOME, qui travaille avec des communautés minorisées en France depuis plus de 20 ans, dit avoir vu cette tendance s'accentuer ces dernières années : « Il y a 10 ans, nous avons effectivement vu quelques rares cas de victimes accusées de "violences réciproques" et même quelques condamnations de femmes pour leurs actes d'autodéfense, notamment des femmes étrangères en situation administrative irrégulière ».

« Cependant depuis 2018, nous constatons une augmentation de l’usage de cette pratique. La raison qui nous a souvent été souvent donnée est que les femmes agissaient de manière trop « agressive », ou que l'auteur des faits accusait la femme en question de violence ».

La conclusion de Sadoudi sur le terrain est simple : « Quand il y a de la violence de la part des femmes, il s’agit généralement de légitime défense ».

Les femmes racisées et/ou les femmes immigrées  sont particulièrement touchées par cette pratique

La loi Informatique et libertés, qui interdit notamment la collecte de données faisant apparaître les origines raciales ou ethniques, nous empêche d'obtenir des données quantitatives précises montrant les femmes racisées comme touchées de manière disproportionnée par cette pratique en France. Cependant, Mme Sadoudi, qui fait également partie du groupe d’expertes de Women for Women France, dit savoir grâce à son travail de terrain, que les femmes racisées et/ou les femmes immigrées sont les premières victimes du mythe des « violences réciproques dans le couple ».

« Cette situation se produit principalement lorsque les femmes sont soit des ressortissantes étrangères, soit des femmes françaises racisées, soit lorsque la position de l'agresseur est considérée comme socialement supérieure », explique Mme Sadoudi.

En guise d’exemple, Mme Sadoudi raconte : « j'ai travaillé sur un dossier où la victime était une ingénieur française d'origine maghrébine. Elle a été placée en garde à vue pendant quelques heures, la policière lui ayant dit “vous êtes hystérique, on ne comprend rien à ce que vous dites. Vous et votre mari allez devoir vous calmer en garde à vue” ».

Les auteurs de violences sont souvent très à l’aise avec la manipulation et le contrôle de l'image qu’ils renvoient. Ils parviennent généralement à rester calmes et pondérés en présence des forces de l’ordre tandis que les victimes, souvent en état de psychotraumatisme, peuvent adopter toute une série de comportements liés à leur traumatisme.

Women for Women France propose des programmes de formation notamment aux magistrats, à la police et la gendarmerie nationales, aux professionnels de santé et aux travailleurs sociaux sur les thèmes du contrôle coercitif, de DARVO et du mythe de la « victime idéale ».

Média

Renseignements ou demandes d’interview : [email protected]

Inscrivez-vous à notre service de presse pour recevoir nos communiqués de presse et commentaires, dès leur parution. WFWF ne peut pas commenter les affaires en cours devant les tribunaux. 

Si vous écrivez un article sur les violences conjugales, pensez à inclure les services nationaux dédiés aux victimes : 

  • Numéro d'urgence (police, SAMU, pompiers) : 112 (24/7)
  • Portail de ressources multilingue pour toute victime de violences conjugales et genrées : www.womenforwomenfrance.org (24/7)
  • Numéro d’écoute et d'orientation des personnes victimes de violences sexistes et sexuelles : 3919 (24/7)

Restez informé.e

Tous les deux mois, la newsletter de Women for Women France fait le point sur les ressources disponibles, les nouveaux dispositifs, et les actualités concernant les violences conjugales, le contrôle coercitif et les droits des étrangers en France.

Pour rejoindre notre communauté : inscrivez-vous ici.

Qui sommes-nous ?

Women for Women France (WFWF) est le créateur et gestionnaire du Portail de ressources multilingue pour toutes les personnes confrontées à des violences conjugales et des violences genrées en France. Notre expertise porte sur les violences conjugales, le contrôle coercitif, et les droits des étrangers.

WFWF dispose d’une équipe d’expertes multidisciplinaires en France qui surveillent l’actualité et les lois et fournissent des informations et des recommandations basées sur la recherche.

Pour contacter la Police :

Défiler vers le haut